La transparence: une approche efficace pour gérer et contrer le harcèlement
Auteures

Me Cristina Mageau
Médiatrice et enquêtrice accréditée
Fondatrice

Me Julie Cyr
Médiatrice et enquêtrice accréditée
Collaboratrice
Avec la collaboration de Mme Mélanie Lévesque, LL.B., technicienne juridique
Publié le 25 septembre 2024

Tout employeur a l’obligation d’offrir un milieu de travail sain à ses travailleurs et de redresser une situation de harcèlement dès qu’il en a connaissance . Au cours des dernières années, le nombre de plaintes de harcèlement déposées à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail a bondi pour atteindre un nombre record en 2023 : il est passé de 4 909 en 2022 à 6 301 en 2023 . Le harcèlement psychologique est le type d’accident qui engendre le coût moyen par lésion psychologique le plus élevé pour les employeurs québécois .
Par ailleurs, selon un sondage Léger publié le 25 janvier dernier, le quart des travailleurs québécois n’auraient pas confiance en leur employeur quant à sa capacité de traiter adéquatement une situation de harcèlement psychologique dont ils estimeraient être victime . En adoptant la Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail (ou « Projet de loi 42 ») au mois de mars dernier, le législateur québécois a priorisé la prévention du harcèlement psychologique. Avec raison : le bonheur et la santé psychologique des travailleurs sont des éléments essentiels au succès et à la pérennité de toute entreprise. Par cette loi, le législateur vient notamment préciser certaines obligations de l’employeur, à savoir celles de prévenir et de faire cesser le harcèlement psychologique.
De nouvelles obligations
Dès cette semaine, plus précisément à partir du 27 septembre 2024, la Loi sur les normes du travail obligera tout employeur à adopter un contenu minimal à sa politique organisationnelle de prévention et de prise en charge des situations de harcèlement psychologique.
Cette politique devra notamment prévoir:
1. les méthodes et les techniques utilisées pour identifier, contrôler et éliminer les risques de harcèlement psychologique, incluant un volet concernant les conduites qui se manifestent par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel;
2. les programmes d’information et de formation spécifiques en matière de prévention du harcèlement psychologique qui sont offerts aux personnes salariées ainsi qu’aux personnes désignées par l’employeur pour la prise en charge d’une plainte ou d’un signalement;
3. les recommandations concernant les conduites à adopter lors de la participation aux activités sociales liées au travail;
4. les modalités applicables pour faire une plainte ou un signalement à l’employeur ou pour lui fournir un renseignement ou un document, la personne désignée pour en prendre charge ainsi que l’information sur le suivi qui doit être donné par l’employeur;
5. les mesures visant à protéger les personnes concernées par une situation de harcèlement psychologique et celles qui ont collaboré au traitement d’une plainte ou d’un signalement portant sur une telle situation;
6. le processus de prise en charge d’une situation de harcèlement psychologique, incluant le processus applicable lors de la tenue d’une enquête par l’employeur;
7. les mesures visant à assurer la confidentialité d’une plainte, d’un signalement, d’un renseignement ou d’un document reçu ainsi que le délai de conservation des documents faits ou obtenus dans le cadre de la prise en charge d’une situation de harcèlement psychologique, lequel doit être d’au moins deux ans .
Cette modification à la Loi sur les normes du travail offre davantage de transparence de la part de l’employeur vis-à-vis ses travailleurs. Ces bonifications aux politiques des employeurs permettront assurément, d’une part d’accroître l’efficacité des mesures mises en place par les employeurs québécois afin d’assurer un milieu de travail sain et, d’autre part de gagner la confiance des salariés envers l’employeur en cette matière.
La proactivité de l’employeur
La politique pour prévenir le harcèlement est un outil important permettant de préserver un climat de travail sain dans l’entreprise, mais il ne suffit pas à l’employeur de se réfugier derrière celle-ci pour rencontrer ses obligations.
À titre illustratif, dans une décision récente rendue par le Tribunal administratif du travail (ci-après le « Tribunal »), il a été conclu qu’une travailleuse avait fait l’objet de harcèlement sexuel au travail. Sur une période de deux semaines, soit entre le 12 novembre 2018 et le 1er décembre 2018, le mis en cause avait complimenté la plaignante en lui disant qu’elle était belle et qu’elle avait de beaux yeux. Il l’a également invitée à prendre un verre. Malgré les refus verbalisés en novembre 2018 par la plaignante, le mis en cause, lors du party de Noël du 1er décembre 2018, a dit à plaignante « mon amour vient ici », a placé sa main fermement sur sa taille et s’est collé à elle dans le cadre d’une photo de groupe. Puisque l’employeur diffusait auprès de ses employés une politique en matière de harcèlement, qu’il avait mis en place des mesures pour limiter les contacts entre les parties, qu’il avait mandaté une enquêtrice externe pour faire enquête et ultimement, qu’il a imposé une mesure disciplinaire au mis en cause suivant les conclusions de l’enquête, le Tribunal a rejeté la plainte de la plaignante à l’égard de l’employeur. En effet, ce dernier s’était acquitté de ses obligations découlant de la loi. Il est intéressant de noter que le Tribunal mentionne qu’ « il ne suffit pas d’adopter une politique pour respecter ses obligations, encore faut-il la diffuser auprès des employés, les sensibiliser et les former à ce sujet. Elle doit aussi être rappelée au personnel fréquemment pour ne pas tomber dans l’oubli. »
Ajoutons que la jurisprudence reconnaît plus largement l’obligation des travailleurs de coopérer avec leurs collègues et de maintenir des relations harmonieuses avec eux, communément appelée « l’obligation de civilité » . Des propos vulgaires, déplacés et grossiers ou de la rudesse dans les relations entre collègues peuvent constituer des fautes d’incivilité. Dans la décision arbitrale récente Syndicat des Cols Bleus de Ville de Laval Inc. (S.C.F.P. section locale 4545) c. Laval (Ville), un employé a été congédié pour avoir crié et coupé la parole à une infirmière de la ville à plusieurs reprises lors d’une conversation téléphonique. Son congédiement a été maintenu par le tribunal d’arbitrage. Le syndicat plaidait que l’obligation de civilité devait être examinée en fonction du milieu de travail et que cette obligation était moindre pour les cols bleus que les cols blancs. Or, l’arbitre a conclu qu’il s’agit d’une défense « d’un autre temps ». Bien qu’isolément, ce comportement n’aurait pas justifié un congédiement, il s’inscrivait dans le cadre d’une continuité de comportements similaires qui avaient été sanctionnés dans le passé selon le principe de gradation des sanctions.
Nos pistes de solutions
Pour conclure, l’employeur n’est pas tenu, en vertu de la loi, d’adopter une politique sur la civilité. Par contre, il peut être judicieux de définir cette notion à même la politique portant sur le harcèlement ou dans une politique distincte afin de prémunir l’organisation d’un levier supplémentaire pour prévenir et pour éliminer toute « conduite indésirable ou conflit susceptible de se transformer en du harcèlement psychologique » .
De plus, bien que l’employeur n’y soit pas tenu en vertu de la loi, nous suggérons d’inclure dans votre politique la possibilité d’offrir aux parties plaignantes et mises en cause de participer à une médiation entre elles, et ce, à tout moment suite à un signalement ou au dépôt d’une plainte. La meilleure solution à tout litige est, quant à nous, celle qui est librement convenue par l’ensemble des parties, lesquelles peuvent être accompagnées par un médiateur ou une médiatrice agissant comme tiers neutre et impartial.
N’hésitez pas à communiquer avec nous afin de vous accompagner dans un processus transparent et de réaliser des enquêtes objectives, sérieuses, rigoureuses, équitables et menées avec célérité et discrétion. Nous sommes également accréditées par le Barreau du Québec pour agir à titre de médiatrices afin de vous accompagner dans la recherche de solutions innovantes et satisfaisantes pour l’ensemble des parties impliquées. Enfin, il nous fera plaisir de revoir vos politiques afin de vous assurer d’être conformes aux nouvelles obligations découlant de la loi.
[1] Voir à ce sujet l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail, RLRQ c. N-1.1, l’article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, l’article 2087 du Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, et l’article 9 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ c. S-2.1.
[2] Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), tel que cité dans l’article paru sur Radio-Canada à l’adresse suivante: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2061285/femmes-harcelement-milieu-travail-cnesst-loi.
[3] Voir Martin Lebeau et al., « Le coût des lésions psychologiques liées au travail au Québec », Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, 2024, page 14.
[4] Voir à ce sujet l’article publié dans Le Devoir le 25 janvier 2024 à l’adresse suivante : https://www.ledevoir.com/economie/805943/ressources-humaines-nombreux-travailleurs-mefient-employeurs-lors-situations-harcelement
[5] Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail, 1re sess., 43e légis. (Qc), article 18(2).
[6] Fortuné Laurore c. Meilleures Marques ltée, 2024 QCTAT 3013 (décision rendue le 23 août 2024). A contrario, voir la décision Mahfoud c. 9063-3090 Québec inc., 2024 QCTAT 3170, paragraphes 53 et suivants (décision rendue le 5 septembre 2024).
[7] Fortuné Laurore c. Meilleures Marques ltée, note 6, paragraphe 154.
[8] Syndicat des Cols Bleus de Ville de Laval Inc. (S.C.F.P. section locale 4545) c Laval (Ville), 2024 CanLII 67125 (QC SAT) (décision rendue le 17 juillet 2024); Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4795 c Ville de Saint-Augustin-de-Desmaures, 2022 CanLII 110522 (QC SAT), paragraphe 67.
[9] Association du personnel de soutien du Collège A et Collège A (F.S.), 2008 CanLII 91610 (QC SAT), paragraphe 103.